Merde, j’ai été con.

C’est quand même pathétique, que de voir tout le chemin que j’ai accompli pour finalement en arriver là, dans ce stupide parc, avec dans ma poche un sachet de poudre blanche qui m’hypnotise. Mais en même temps, la tentation n’est pas si forte que ça. Je sais que je peux me contrôler, ou plutôt, j’essaie de m’en convaincre. Parce qu’à chaque fois que j’y pense, je revois son visage. Son air complètement dégouté quand elle a découvert dans quel enfer j’avais fini par sombrer, quand, en fouillant dans les poches de mes poches pour prendre mon portefeuille, elle en avait ressorti un sachet d’héroïne.

J’ai été con.

Mon Adrielle m’a aussitôt détesté. Enfin, j’imagine. Elle m’a chassé de notre appartement, enfin, l’appartement de Dereck et Anabelle. Soit disant que je donnerais le mauvais exemple à Eddy. Je n’ai pas osé lui rappeler qu’elle avait failli se tuer, après avoir pris de la drogue, en tombant du toit de l’école. Par contre je lui ai fait remarquer qu’à deux ans à peine, Eddy n’était probablement pas assez brillant pour savoir ce que contenait le fameux petit sachet. Elle n’a rien voulu entendre. Elle m’a lancé la drogue au visage en me criant qu’elle ne voulait plus jamais me parler, et que j’allais le regretter si j’essayais de la revoir avant très longtemps. Je n’ai pas osé insister parce que je savais à quel point elle pouvait devenir dangereuse quand il était question du bien-être de son filleul. Alors j’ai pris mes affaires et je suis sorti sans me retourner, en lançant un ‘’Je t’aime’’ qui allait sûrement rentrer par son oreille et ressortir par l’autre, comme tout ce que je disais lorsqu’elle était en colère contre moi. Mine de rien, je le connais mon Adie.

Après, j’ai encore été con.

J’ai roulé. Sans me soucier de la direction, j’ai roulé. Rapidement. Je n’avais qu’une seule envie. M’échapper. Alors j’ai roulé. J’ai pratiquement traversé tous les États-Unis, sans penser, sans me retourner. Je me suis ruiné pour payer l’essence nécessaire à mon voyage. Et, alors que je n’ai plus un sous, j’abandonne ma voiture et marche jusqu’à un petit parc. Je n’ai aucune idée de l’endroit ou je suis, et c’est très bien comme ça. Je m’assois sur un banc et enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, je ferme les yeux, sans même me rendre compte qu’il y avait quelqu’un d’autre sur le banc.

La nuit se faisait plus fraîche. De temps en temps, les courants d’air venaient remuer les feuilles des arbres. Autour, tout le monde avait quitté le parc, et même les rues. La ville semblait morte. Moi aussi.

La chanson insignifiante que j’écoutais finit par finir, et j’en fus soulagé. Je me dis qu’il serait bien de mettre sur mon iPod de la musique que j’aimais vraiment. Pas comme toutes ses vieilleries qu’Adrielle voulait que j’écoute, soit disant pour élargir mon répertoire. C’est n’importe quoi, mon répertoire est très bien comme ça. J’arrêtai la musique qui recommençait. Trop la flemme de chercher quelque chose de potable à écouter. Et surtout pas de musique des Jonas Brothers.

Un à un, j’enlevai mes écouteurs puis rangeai mon iPod dans ma poche, effleurant au passage le sachet de poudre maudit. Non Cedrick, n’y pense même pas.

Une lumière s’alluma dans la nuit. Non pas en avant de moi, mais à ma gauche, assise sur le même banc que moi. Enfin, pas la lumière, mais sa propriétaire, était assise près de moi. D’après ce que j’en vis, la lumière provenait de son iPod. Mais je ne pourrais pas en être sur, parce qu’en me retournant vers la fille –car oui c’était une fille- mes yeux attirent immédiatement sur son visage. Son visage qui me disait quelque chose. Et lorsque la lumière s’éteignit, l’image de son joli visage avec ses longs cheveux blonds et ces grands yeux bleus tristes. Ce fut lorsqu’elle se mit à chanter –Someone like tou, d’Adele, qu’elle chantait plutôt bien- que je fis le rapprochement. Et un nom se forma dans mon esprit. Un nom que je n’avais pas eu le droit de prononcer depuis plus d’un an.

Anabelle.

Mais elle ne pouvait pas être là. C’était trop impossible. Et Dereck, pourquoi n’était-il pas là? Mon ami Dereck, et sa femme Anabelle, qui m’avaient lâchement abandonné avec une petite amie dépressive et suicidaire, et un enfant sur les bras. Et alors que je n’avais aucune expérience en la matière, je me retrouvait, sans qu’on me l’ait demandé, à prendre soin d’Eddy et d’Adrielle, car, en laissant son bébé à Stanford, Anabelle n’avait visiblement pas pensé qu’Adrielle serait trop déprimée pour s’occuper d’un bébé, et même maintenant qu’elle se portait un peu mieux, j’avais envisagé la possibilité d’emmener Eddy avec moi, pour son bien. Mais c’était son filleul, et non le mien, alors il était resté.
Espérons seulement qu’il ne soit pas déjà mort de faim, oublié dans une voiture depuis trois jours. J’aurais du l’emmener.

- Cedrick?, murmura une voix dans la nuit.

- Bonjour Anabelle, répondis-je en me retournant vers elle, plongeant mon regard dans le sien. Content de te revoir.

Mon regard se perdit dans la contemplation de ses iris bleus, dans lesquels se mêlaient la tristesse et le désespoir, chose que je n’aurais jamais cru possible de la part d’Anabelle Wathson. Son visage s’illumina lorsqu’elle eut confirmation que c’était bien moi, qui avait prit place à ses côtés. Le commencement d’un sourire se forma aux commissures de mes lèvres.

Mon Anabou avait changé. Toute la joie qui se peignait autrefois sur ses traits avait disparut, laissant la place à un visage maigre et des cernes sous les yeux, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Pourtant, elle était bien là et sa seule présence me comblait. L’envie de la serrer dans mes bras était si forte que lorsque sa tête vint se poser sur mon épaule, je ne pus résister et je la serrai dans mes bras, enfouissant mon visage dans ses longs cheveux blonds.

- Tu m’as manqué, dit-elle en resserrant son emprise autour de moi.

Je ne lui répondis pas que c’était aussi mon cas, car cela semblait, du moins à mes yeux, être une évidence. À la place, je l’embrassai sur la tempe puis, pris la parole.

- Je t’adore, Anabou.

Le silence se fit. Elle n’avait sûrement pas le courage d’avouer mais j’avais la certitude qu’elle attendait le bon moment pour demander des nouvelles des autres. Après tout, depuis un an, elle n’avait plus aucun contact, quel que ce soit, avec les Fichardiens, excepté Dereck. Et je voyais à son regard qu’elle s’inquiétait pour son fils. En même temps, c’était parfaitement normal, puisqu’il était son fils.

- Eddy va bien, je crois. En fait il allait encore bien lorsque je suis parti. Adrielle s’occupe de lui. Elle a prit de la drogue, le jour où vous êtes partis. Elle a bien failli se tuer d’ailleurs. On habite dans votre appartement. J’ai emménagé avec Adrielle et Eddy. Fallait s’occuper d’eux. Surtout Adrielle. Elle allait mal, très mal.

Je pris une pause, puis, continuai.

- Jared sort avec une fille. Je ne lui ai jamais vraiment parlé. Angie, je crois. Elle a l’air sympa. Nick va bien. Il va très bien même, depuis qu’il sait que Jenna est enceinte. C’est une fille. Jenn’ est aux anges. Nick voulait un garçon mais il est heureux quand même. Le fait d’avoir un enfant le rend complètement gaga. Il passe tout son temps dans les boutiques de vêtements pour bébés. Il achète tout un tas de trucs roses. C’est étrange…

Je pris sa main dans la mienne.

- Et Dereck…

Le soulagement se peignit sur les traits d’Anabelle lorsque je lui appris que son fils et ses amis se portaient bien. La voir ainsi rassurée me fit chaud au cœur. J’aurais du mal à imaginer ce que peut ressentir une mère après n’avoir eu aucun contact, ni aucune nouvelle, depuis plus d’un an, de son enfant, et en ayant parfaitement conscience qu’il était confié à deux jeunes adultes sans aucune expérience pour changer des couches ou prendre soin convenablement d’un enfant. Pourtant, je me dis que ce devait être un réel soulagement que de savoir que le dit fils soit encore en vie après avoir vécu douze mois en compagnie de délinquants fraîchement sortis de l’école. Et si on avait tué Eddy?! Je crois que je ne me le serais jamais pardonné, et que présentement je n’aurais pas la chance de serrer dans mes bras la plus belle maman que la terre ait portée.

Bref, au fur et à mesure que je parlais, je pouvais voir ses traits s’adoucir, alors qu’elle apprenait que sa meilleure ami –et accessoirement belle-sœur – était enceinte de son meilleur ami, et donc, qu’elle allait donc avoir une nièce. Que son ami avait enfin une copine sérieuse, et qu’il n’accumulait plus les aventures d’un soir. Or, lorsque je prononçai le nom de Dereck, ses sourcils se froncèrent et sa tête se décolla légèrement de mon épaule.

-Il est tourmenté. Il cherche quelqu'un, mais je ne sais pas qui. Je ne savais pas quoi lui dire de plus. Il cherche une personne contre qui il est en colère, très en colère. Il dépasse les limites parfois...

Dereck allait mal. Merde, qu’était-il arrivé à mon meilleur ami? Lui qui débordait de joie de vivre, et avec qui les séances de déconnage avaient été notre pain quotidien. L’idée d’un Dereck troublé me semblait impossible, puisqu’autrefois c’était lui qui était là pour moi, et qui m’aidait lorsque j’avais un problème. J’allais demander à Anabelle si elle savait qui était cette personne qui faisait souffrir notre Dereck quand, en voulant la serrer contre moi, la manche de son chandail remonta, et j’apperçus, un bref instant, de drôles de cicatrices sur son avant bras. Je lui lançai un regard interrogateur et remontai encore plus sa manche, pour me re ndre compte que ces cicatrices étaient présentes sur la quasi-totalité de son bras. Soudain, une lumière s’alluma dans mon esprit.

- Ana… Est-ce que… C’est quand Dereck a dépassé les limites qu’il t’a fait ça?

Mes doigts froids effleurèrent son bras, suivant les cicatrices qui déformaient son bras, puis, en me disant que ça lui faisait peut-être mal, je relevai la tête vers elle et la regarda dans les yeux.

- Ana, qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qui s'est passé?

Je remarquai bien son désarroi lorsque mes doigts touchèrent son bras. Je ne fis pas de commentaire, elle n’avait pas besoin de ça en plus. Aussi, lorsqu’elle dégagea son bras de mon emprise, je la laissai faire sans insister. J’espérais qu’elle allait au moins me donner quelques explications, parce que j’étais totalement perdu. Qu’est-ce que Dereck avait bien pu faire à Anabelle pour qu’elle se retrouve dans cet état? Il la battait? Il la violait? Dans les deux cas, je refusais de le croire. Mon Dereck n’aurait jamais fait ça à sa femme. Pour lui, Ana était la chose la plus importante au monde –excluant Eddy- et la simple idée qu’il ait pu lui faire du mal m’était tout à fait inconcevable.

Lorsqu’Ana ouvrit la bouche pour parler, je m’attendais à ce qu’elle me dise ce qui était arrivé à son bras, ou du moins, pourquoi c’était arriver, mais… non. À l’inverse, elle répondit plutôt évasivement, voulant vraisemblablement éviter ce sujet de conversation.

- Rien de bien grave…

Mon œil. « Rien de bien grave ». De la façon dont elle l’a dit, on aurait cru que ce n’était rien de grave, rien de plus qu’un simple accident banal pouvant arriver à n’importe qui. Comme si, elle marchait dans la rue et que tout à coup, elle s’était enfargée dans une racine [ouais, une racine dans la rue, on a déjà vu mieux mettons]. Ça peut arriver à n’importe qui ça, c’est sur, mais les gens qui se plantent dans la rue, sur une racine [ouais, je sais], ben ils ne finissent pas avec le bras recouvert de plaies sanguinolentes (en fait, j’imagine que ce devait être très sanglant). Bref, son « Rien de bien grave » ne me plut pas beaucoup. Et les larmes qui coulaient sur ses joues ne m’émurent pas du tout, elles eurent plutôt le don de me mettre encore plus en colère.

- Rien de bien grave… Mais tu te fous de moi là? Explique-moi tout de suite ce qui s’est passé, Ana. Qu’est-ce qu’il t’a fait, Dereck? Et c’est quoi cette histoire de recherche d’une personne, et de Dereck tourmenté et en colère? Explique-moi tout. Maintenant.

Les larmes qui coulaient abondamment sur ses deux joues ne suscitaient en moi ni pitié ni quoi que ce soit d’autre. Dans ma vie j’avais souvent vu des gens tristes ou en colère, qui pleuraient de désespoir ou encore de rage, et en fait, j’étais si habitué que lorsque quelqu’un pleurait devant moi, mon premier réflexe était de les ignorer. Pourtant, en voyant Anabelle en larmes et si malheureuse, tout ce que je ressentis fut de la colère. Et lors de son discours, je restai de marbre, incapable de bouger ou de faire quoi que ce soit d’autre.

-Tu es la personne la plus importe pour moi en ce moment, la personne qui me redonne le goût de vivre. Dereck est un formidable mari, mais la dernière fois qu'il était saoul, il ma poussé violemment sur un miroir contre le mur. Il m'a juré de ne plus boire depuis cet accident. Je crois que Dereck est parti retrouver ses parents biologiques, mais ce n'est pas certain

* Dereck Parker, tu es un homme mort * , pensais-je lorsqu’Anabelle eut refermé sa jolie petite bouche et eut cessé de parler. Blesser une si jolie femme devrait être un crime puni par la loi. D’ailleurs, la violence conjugale était punie par la loi. Mais j’étais bien trop gentil pour dénoncer mon ami à la police [déjà que mes rapports avec la police étaient plutôt… disons que nous n’étions pas en très bons termes]. Et Anabelle n’allait sûrement pas le dénoncer elle non plus, puisqu’elle l’aimait tellement. * Ah, l’amour. Tellement pathétique. *

Puis, sans que je le voie venir, Anabelle déposa ses jolies petites lèvres sur ma joue pour y déposer un agréable baiser. Et immédiatement, sans y penser, comme par reflexe, je tournai la tête et mes lèvres glissèrent sur les siennes pour l'embrasser.

Dès que je repris mes esprits et me rendis compte de ce que je faisais, je me séparai d’elle et lui lançai un regard désolé. Ses yeux grands ouverts me regardaient d’un air surpris et sa jolie bouche formait un «o» parfait. Je me retins de lui demander si elle trouvait que j’embrassais bien, car pour moi c’était une évidence. Peut-être même Adrielle lui avait-elle vanté mon talent incontesté pour embrasser et mes prouesses au lit.

- Euh… je… excuse-moi Ana, je ne sais pas ce qui m’a pris…

Elle me regardait encore avec ce drôle d’air, la tête penchée vers la gauche, lui donnant l’air d’une gamine. Pendant un court instant, je me demandai si j’embrassais mieux que Dereck. * Sûrement. *

À voir l’apparence de son visage, j’eus la confirmation que ce baiser lui avait plu. Pas que j’avais particulièrement apprécié le fait d’embrasser la femme de mon meilleur ami mais… * Arrête de te mentir à toi-même, Ced. Il était super ce baiser! * Ouais, en fait ce baiser avait été plutôt agréable, c’est certain, sauf que… c’était la femme de mon meilleur ami. Voilà le problème. Et, fait étrange, je ne regrettais pas d’avoir embrassé Ana –même que je déplorai de ne pas avoir utilisé ma langue- et en plus je n’étais pas si désolé que ça. Oui, parce qu’Anabelle était tout à fait attirante, et que si Dereck n’en prenait pas soin comme devrait le faire un époux envers sa femme, je pourrais éventuellement le faire, moi…

Je me demandai si elle était en colère contre moi parce que je l’avais embrassée. Peut-être allait-elle m’engeuler pour l’avoir embrassée alors qu’elle était avec Dereck, comme elle avait engeulé Adrielle lorsqu’elle avait embrassé Dereck. Ana était assez énigmatique en fait. Il était difficile de lire en elle, puisqu’elle agissait souvent sans penser avant. Mais je ne pouvais pas l’en blâmer, puisque j’étais pareil.

Elle se pencha vers moi et j’eus peur, pendant un instant, qu’elle ne me gifle. Mais elle n’en fit rien, à ma plus grande joie. Puis, à ma plus grande surprise (joie?), elle approcha sa bouche de mon oreille et murmura :

- T’as pas à t’excuser pour ça…

Je souris intérieurement à ses paroles. Donc, elle non plus ne regrettait pas ce baiser. Intéressant… * Non Ced, n’y pense même pas... * Oh que si, j’y pensais, et plus j’y pensais, plus cette idée me semblait attirante. Anabelle n’allait en être que plus surprise, et, je l’espérais, satisfaite. À mon tour, je m’approchai de son oreille et lui chuchota :

- Tant mieux parce que je n’avais pas l’intention de m’excuser une autre fois pour ça…

Et sur ce, je l’embrassai, avec la langue cette fois. Et elle ne tardât pas à répondre à mon baiser. *Nananinanère!! Dans tes dents Dereck!*

Le baiser dura longtemps, et elle sembla apprécier. Une bonne chose de faite.

- Cedrick…

Je figeai un moment. Entendre mon nom de sa bouche me donna une drôle de sensation à l’intérieur de moi. Et je m’y accrochai, à cette sensation. Parce que toutes mes émotions, toute ma vie se résumait à ces sept petites lettres. Et ce mot était le seul qui me raccrochait à la vie. Mon identité était la seule chose qui comptait vraiment.

Puis, elle m’embrassa. Encore. Et la réalité ma rattrapa.

J’embrassais Anabelle Wathson. J’embrassais Anabelle Wathson et je n’en revenais pas encore. * Merde, elle embrasse bien * Dereck était chanceux. Pauvre Anabelle, Dereck n’embrassait sûrement pas mieux que moi, même qu’il devait embrasser vraiment plus mal. Mais enfin, Anabelle était contentée avec moi, puisque j’étais plutôt doué (Mais non, je ne me vante pas. Tout le monde me le dit). Mais…

Dereck et Anabelle, Anabelle et Dereck, Dereck et Anabelle… Ces mots me torturaient, passaient et repassaient dans mon esprit, me tourmentaient. Parce que leur couple était, à Fichard, une sorte de couple culte. Quand on parlait de Grand Amour, inévitablement leurs noms étaient prononcés dans la conversation. Parce qu’ils étaient Dereck et Anabelle, et rien d’autre.

Et tandis que j’embrassais mon amie comme si ma vie en dépendait, l’image du Dereck Parker souriant et heureux disparaissait peu à peu de mon esprit, laissant son entière place à celle d’Anabelle et de sa bouche si attirante, et ses longs cheveux blonds si doux, et ses courbes, ma foi, si affriolantes (j’ai trouvé ça tout seule!).

Mes mains, par reflexe, glissèrent sur son corps de rêve pour se poser (hasard?) sur ses jolies petites fesses rondes. Sa grossesse ne semblait pas avoir endommagé tant que ça son corps, et, selon moi, elle était toujours très belle (bien que je n’avais pas eu la chance de la connaître avant qu’elle n’ait Eddy). Aussi, lorsque nos deux corps se séparèrent et que son front se colla sur le sien, je lui fis un sourire.

- Alors euhm… C’est quand même sympathique de te revoir, Ana. C’est… Tu sais que embrasses bien, pour une fille?

*Ouais, parce que mêmes les filles les plus douées ne peuvent se comparer à MWAA*

Anabelle sourit lorsque je passai la remarque sur le fait qu’elle embrassait bien pour une fille. J’espérais au moins qu’elle ne pense pas que j’avais embrassé des gars, pour être capable de les différencier ainsi. Parce que je n’étais pas gay. Pour rien au monde je ne ferai quoi que ce soit de… compromettant, avec un gars. Plutôt mourir.

Pendant un bref instant, je revis en pensée ma première rencontre avec Dereck. À l’hôpital, avec Eddy. Et comme Anabelle n’était pas là, j’étais entré avec Dereck dans le bureau du docteur. Avec Eddy. Et le docteur, en nous voyant, nous, deux hommes, avec un bébé, il avait pensé que nous étions gays. J’aurais pensé la même chose si j’avais été là. Parce que, bien sûr, ça devait être… étrange.

- Ça me fait du bien de te revoir aussi, Ced. Et tu t'attendais à quoi? Que j'embrasse comme une vache? Toi aussi t'embrasses bien...Pour un garçon!

Je ne répondis pas que je m’attendais à ce qu’elle embrasse comme une vache, parce que de toute façon, je n’avais encore jamais embrassé une vache, et je n’avais pas non plus l’intention de le faire. * Quoi que ce pourrait être une expérience assez intéressante… * …euh… * Non, ta gueule Ced * . Par contre, lorsqu’elle dit que j’embrassais bien pour un garçon, je ne pus m’empêcher de sourire. Bien sûr que j’embrassais bien. Évidemment.

En la voyant ainsi sur moi, je ne pus m’empêcher d’imaginer les choses non-catholiques que je pourrais faire avec Anabou. Ce soir peut-être. Ça serait quand même sympathique. Ana et moi, ensembles, unis. Et Dereck le tout seul, qui meurt écrasé sous une montgolfière conduite par des extraterrestres mangeurs d’hommes qui dansent de la country sur du Mozart en se tenant par la main, avec chacun deux lulus, et des bobettes bleues avec des moutons avec des orangs-outangs qui joue du saxophone en tapant du pied sur des nuages de barbe a papa rose qui pleut des gummy bears, des bonbons au caramel et des popsicles fondus.


- -Eumh... Ced… Laisse faire, c'est stupide.

Euh… d’accord… Je résistai à l’envie de lui demander ce qu’elle comptait me demander car je me dis qu’elle allait bien finir par me le dire.

Je remarquai qu’une vieille dame qui promenait ses chats nous regardait avec un air dégouté. Je la comprenais. Aussi, je me dégageai d’Ana et lui fit un sourire charmeur.

- Ça te dirait d’aller finir la soirée ailleurs? Dans un resto par exemple?

* Bien sur qu’elle veut. Pourquoi ne voudrait-elle pas? Passer la soirée avec un Dieu tel que moi… *

Son visage changea quand je parlai de resto. Un air, qu’on pourrait qualifier de sournois. Pendant un moment, j’eus peur. Comme je connaissais Anabelle, je devrais peut-être avoir peur. Après tout, n’avait-elle pas fait toute sa scolarité dans une école de délinquants? Et elle avait l’air d’avoir une idée fixe, quelque chose qu’elle avait bien l’intention de faire. Sans oser l’avouer, j’espérai secrètement que ça ait rapport à ce que moi je voulais, soit finir dans un lit avec elle, quoi que je n’avais aucun problème à finir plutôt sur le siège arrière d’une voiture (croyez-moi, le siège avant c’est bien moins confortable), d’ailleurs, ma voiture n’attendait que ça…

- Mmmh... Dans un resto ou dans un bar?

Bonne question. Dans un resto, peut-être. J’avais faim. Je n’avais pas mangé beaucoup durant les deux derniers jours. Quelques arrêts dans des casse-croutes sur le bord de la route; les seuls endroits où manger que pouvait me permettre mon maigre budget. Et puis un resto était facile à voler. Un jeu d’enfant. Faire sortir Anabelle en prétendant payer puis la rejoindre. Séduire la serveuse et lui faire oublier la facture. Sortir en douce. Facile.

* Oulaaaah, frissons! Sa main qui caresse mes abdos, qui descend, descend… Ah, la petite coquine! *

Et dans un bar. Rien de plus simple que de se faire offrir un verre, surtout pour Anabelle. Sans toucher à mon portefeuille, mon portefeuille vide. Et puis la tentation était forte. L’alcool... pourquoi pas? * Et puis j’aurai une excuse pour coucher avec Ana * .
Avant que j’aie eu le temps de répondre, Ana, qui avait entre temps sorti de son sac à main un lollipop rouge et qui le suçotait de façon très suggestive en entortillant ses longs cheveux blonds autour de son doigt,. * Ouaaah, Trop belle. * prit la parole, en me regardant toujours aussi sournoisement.

- À moins que t’aies envie d’aller ailleurs…

*OH QUE OUI* Dans une chambre d’hôtel!

- Avec toi j’irais n’importe où…

Pause, pour créer du suspens… * Peut-être que je n’aurai pas besoin de la saouler pour coucher avec elle… *

- Mais une chambre d’hôtel c’est bien. Ou ma voiture. Bref, je compte bien finir la soirée là alors si tu veux aller manger, ou boire, avant, eh bien je suis toute ouïe.

* En autant que ce soit clair. *

Je guettai une émotion sur son visage. Aucune. Niet. Nada. Au moins, elle n’avait pas l’air outrée, ou choquée de mon affirmation. Car oui, c’était une affirmation, et non une proposition ou une parole en l’air. Au moins, il y avait encore une chance pour qu’elle finisse dans mon lit. Et j’y tenais vraiment, à ce qu’elle finisse dans mon lit. Parce qu’une semaine d’abstinence, pour le pauvre Cedrick, c’est… interminable. Et ça, c’était un fait, connu de tout le monde d’ailleurs.

-Monsieur me prend pour acquise? Tu sauras que j'ai pas mal plus de classe que ça! Alors, je dis bien oui pour aller BOIRE et on verra pour le reste…

Alors ça… je ne m’y attendais pas. Pas du tout. Mais mes plans de la soirée ne changent pas pour autant. Et ceux d’Ana non plus, apparemment, si on se fie à l’étrange sourire qui éclaire son visage. Parce qu’elle ne semblait pas contre l’idée de passer une nuit avec moi. * D’ailleurs, qui refuserait? * Et je n’avais pas non plus l’intention de la laisser filer. Si je décide qu’une fille finira dans mon lit, elle finira dans mon lit. Et j’avais décidé qu’Ana allait finir dans mon lit, alors elle allait finir dans mon lit.

- Anabelle, ma belle Anabelle… Sache premièrement que oui, je te prends pour acquise. Et je ne crois pas que tu sois une fille facile, loin de là. Deuxièmement, je suis d’accord pour aller boire, pour dire que tu étais saoule et que tu n’étais pas consciente de ce que tu faisais. Et pour le reste… on fera ça après.

Je me dégageai d’elle pour me lever. Je lui tendis la main pour qu’elle la prenne dans la sienne, et, lorsqu’elle le fit, je m’empressai d’y déposer un baiser, comme le parfait gentleman des films d’amour.

- On y va?

- Mais avec plaisir, parfait gentleman.

Oh, alors elle me considérait comme un gentleman? Parfait. Moi aussi je me considérais comme tel, ce qui faisait changement de l’époque (pas si lointaine, d’ailleurs), où je n’étais qu’un salaud qui couchait avec tout le monde et qui faisait n’importe quoi de sa pauvre vie. Car à Fichard, j’avais eu l’impression que je n’en finirais jamais fini avec l’école. Et comme, à Fichard, l’école était pire que la prison, tout le monde se fichait pas mal de la valeur de la vie. Alors comme je m’en étais enfin sorti, l’attitude que j’avais à l’école m’avait complètement dégouté et j’avais entrepris de changer. Bref.

Main dans la main, moi et Anabelle marchâmes dans la rue jusqu’à ma voiture. Comme elle ne savait pas laquelle c’était, je la dirigeai vers mon bébé d’amour. J’ouvris la portière du côté passager, en parfait gentleman, et attendis qu’Anabelle aille s’asseoir. Or, elle alla s’accoter sur le capot et me regarda avec son petit air sournois. * Oh non, j’ai peur… * Et alors, comme elle se tenait dans la lumière de la pleine lune, je la trouvai plus belle que jamais.

- On fait un pari, la personne qui résiste le plus longtemps à l'autre doit... Payer la chambre d’hôtel

Je failli dire non, prétextant que je n’avais pas d’argent. Mais de toute façon, j’allais gagner. Je n’avais jamais rien fait avec Ana alors j’étais bien capable de me retenir encore un peu. Et puis elle semblait tenir à finir dans une chambre d’hôtel avec moi, alors elle ne pourrait pas résister bien longtemps, surtout qu’elle allait boire avant.

– D’accord, mais si on finit dans la voiture, personne ne paye.

Piège. Si je craquais avant –imaginons le pire des cas- je n’aurais qu’à l’emmener dans ma voiture et je ne débourserais rien. Et puis avec un peu de chance, Ana serait tellement saoule qu’elle oublierait le pari. Elle paierait et on ne reparlerait plus jamais de cette histoire. En fait, il y avait peu de chances qu’après cette soirée on se revoit.