Première rencontre [Pv Kim Taylor]

Moi qui n'avais jamais aimé l'école, c'était le bouquet. Deux heures de math, ce matin. Si j'y réfléchis bien, ça faisait longtemps que je n'avais plus été en cours... Au moins... Un an? Et pire, je n'avais jamais eu de quoi réussir mon année, mais mon père s'était toujours arrangé pour que je ne repasse pas mon année. Mon père... Décédé. Me laissant vivre seule avec ma mère et mon frère. Ma mère qui m'avait rejetée, préférant Christopher le petit ange à moi. Je m'assis sur un banc, sortant un livre de mon sac. Je l'ouvris, je commençai à lire, mais sans réussir à mettre un sens sur les paroles. Les mots se perdaient dans ma tête. Puis je réalisai que finalement, je n'avais pas envie de lire. J'étais encore trop bouleversée, à force de penser à la mort de mon père, à mon frère qui m'avait pourrit l'existence rien qu'en naissant, mais surtout à ma mère qui me dénigrait. Et après ça, venait la poudre blanche qui m'avait rendu le tout un peu plus facile... Jusqu'à m'emmener ici. Mais finalement, maintenant, je n'avais plus à supporter ma mère. La seule douleur était d'y penser.

Je me rendis compte que j'étais toujours assise sur le banc, le livre ouvert et les yeux fixés sur les mots que je ne lisais pas quand une fille arriva. Je ne lui prêtai pas attention, comme à mon habitude. Il faut dire que je suis... Plutôt désagréable avec les gens que je rencontre. Mon fonctionnement est bien plus compliqué que celui d'un autre. Même moi, je ne me comprends pas toujours.

Je m'emmenuyais vraiment à Fichard. Non, mais carrément. J'avais besoin de prendre l'air, de sortir une autre fois des murs grillagés qui me faisaient tant penser à une prison. Je m'étais mise en espadrille et pantalon de jogging, dans le but d'aller faire un petit footing jusqu'au parc, de m'y prendre une glace à la fraise, de la manger et de revenir en courrant. Pour dépenser les calories de la glace. Je suivis mon plan à la lettre, jusqu'à l'étape de la glace. Il faut dire qu'il faisait plutôt froid et que la glace aurait été un surplus à cette froideur bien singulière pour cette journée d'automne. J'aurais du m'amener une veste. J'étais totalement essouflée. Mes jambes élancées me faisaient atrocement souffrir. Je pris note mentalement de continuer à m'entrainer, si je voulais perdre mon état de mollusque total. Je me cherchai un banc où m'asseoir, le temps de reprendre mon souffle, avant de retourner à l'école. Ou peut-être que je succomberai à la tentation qu'offrait un bon dark cherry mocha de chez Starbucks avant... Les bancs manquaient. Non, mais ils ne pouvaient pas faire quelque chose convenablement dans cette foutue ville? Tous les bancs étaient occupés par soit un couple, soit une famille. Jamais une place de libre. Je déambulai quelques minutes dans le parc bondé malgré la température excécrable, pour enfin apercevoir un banc, un peu reculé, occupé seulement par une fille d'à peu près mon âge, en train de lire. Comme mes jambes criaient que je ne pourrais rester debout encore bien longtemps, je m'avançai vers elle.
- Cette place est-elle prise? Demandai-je en pointant la place à côté d'elle
J'essayai de voir si l'écriture du livre m'était familière, mais ne la recconnut pas. Il faut avouer que je lisais beaucoup. C'était plus qu'un simple passe-temps, c'était comme plus... Se plonger dans un autre univers, un autre monde totalement différent pour être pour une fois le héros.

Je jetai un coup d'oeuil à la fille puis je décidai de l'ignorer. Elle avait l'air essouflée et elle était en pantalon de jogging. Elle devait être fatiguée d'avoir couru. Moi, je portais ma veste en cuir sur un t-shirt rouge où étaient inscrits les mots "Shut up". Je décidai de me replonger dans ma lecture inachevée quand elle me demanda si la place était prise. Bien sur que non, il n'y avait personne. Mais juste pour lui montrer mon coté chiant, je lui affirmai le contraire.

-Oui, tu vois bien que j'y suis, minaudais-je avec un sourire hyppocrite. Désolée, dis-je en lui faisant un signe de la main qui signifiait "aurevoir".

Pour mieux lui faire comprendre, j'étendis mes jambes l'une sur l'autre sur toute la longueur du banc en lui souriant toujours. Je me détournai ensuite, réouvris mon livre et lu un extrait qui accrocha mon regard: "Pourquoi m'avez vous méprisé? Pourquoi avez vous trahi votre coeur, Catherine? Je ne puis vous adresser un mot de consolation, vous avez mérité votre sort. Vous vous êtes trahie vous même. Vous pouvez m'embraser, pleurer, m'aracher des baisers et des pleurs, ils vous déssècheront, ils vous damneront." Finalement, les personnages me plaisaient bien. Mon oncle m'avait donné le livre "Les hauts de Hurlevent" en disant que c'était un livre qu'on devait lire au moins une fois dans sa vie. je l'avais prit pour ne pas le vexer. Pourquoi le lisais-je, maintenant? Ah oui, parce que je n'ai rien d'autre à faire, étant donné que je suis comme prisonière à cette école, et que les prisoniers ne peuvent rien faire.

Quelle égoïste, celle-là! Bon, j'avais vraiment besoin de m'asseoir. Sinon, j'allais tomber à la renverse sans connaissance. Je fis quelques pas et vit une bordure de trottoir qui ferais bien l'affaire. Mes jambes douloureuses m'arrachèrent une grimace quand je les repliai pour pouvoir m'asseoir sur un siège aussi bas. Les garder ainsi vers moi me faisait atrocement mal, alors je les étendit, barrant le passage à toute personne voulant passer par là. Le seul moyen de passer était de passer par-dessus. Peu à peu, mon coeur ralentit jusqu'à retourner à un rythme normal en tout point. Par contre, mon poingt de côté ne voulait pas partir. Il fallait sérieusement que je m'entraîne plus que ça. D'ici, je voyais le titre du livre de la fille. Les hauts de Hurlevent. Je me rappelai, qu'il y a quelques années, je m'étais promise de le lire, ainsi que tous les clasiques du style Pride and Prejudice, Romeo and Juliet, etc. Comme je n'avais rien à faire en attendant que la douleur dans mes côtes parte, je détaillai la fille des pieds à la tête. Elle semblait plutôt petite, les cheveux bruns, un style un peu rocker. J'aurais du m'amener mon ipod! J'avais vraiment soif, alors j'allai m'acheter une bouteille d'eau. Quand je retournai dans mon coin de trottoir, la fille était encore là. Elle semblait totalement absorbée dans son livre. Alors, histoire de la faire un peu chier comme elle me l'avait fait, je lui demandai:
- Et puis? Il est bon ce livre?
Je lui lançai un de mes sourires éblouissant. Vous savez, de ceux qui veulent dire: Tu m'as cherchée, non? Bon, eh bien, endure, fille!

Je regardai la fille s’éloigner pour aller s’asseoir sur le trottoir. Apparemment, elle en avait vraiment eu besoin. Sûrement des crampes. Peut-être aurais-je dû lui laisser une place sur le banc ? Non. Si elle ne savait pas courir, c’était son problème. Qu’elle essaie un autre sport. Elle alla s’acheter une bouteille d’eau. Je regardais toujours les mêmes lignes sans les voir. Je pensais surtout à la façon dont j’allais survivre dans ma nouvelle école de fous. Enfin, ça ne devait pas être plus difficile que chez ma mère. Voir plus facile. Peut-être même que la jeune coureuse en faisait partie. Mais si elle y était, qu’avait-elle fait? Drogue, violence, vols, destruction, fugue ? Enfin, je ne savais même pas si elle était une élève de Fichard, et ce qu’elle avait pu faire –ou non- m’importait peu. Je caressai la page à laquelle j’étais arrivée dans ma lecture, la même que tout à l’heure, songeuse, quand la fille revint vers moi et me demanda si mon livre était bon. Je savais bien qu’elle revenait parce que je l’avais provoquée quelques minutes plus tôt, mais je décidai de faire comme si rien ne c’était passé, simplement par esprit de contradiction.

- C’est subjectif, répondis-je innocemment. Ça dépend du lecteur. Mais s’il aime lire une histoire d’amour dans laquelle les deux personnages se torturent l’un l’autre, tous deux égoïstes, il y a des chances qu’il apprécie Les Hauts de Hurlevent. Je me nomme Macy Davis.

Tout en lui parlant, j’avais sorti une cigarette de mon sac et je l’avais allumée avec mon briquet. Je tirai une bouffée, en fermant les yeux, essayant d’y retrouver une quelconque ressemblance avec les joints que je fumais, mais je ne ressentis pas le dixième du plaisir que j’éprouvais avant. On m’avait confisqué, si je puis dire, mes derniers en fouillant dans mon sac. On a même plus d’intimité. Mais bon, je devais quand même bien me douter qu’en tant que droguée, c’était normal qu’ils me fouillent. Et encore, je n’avais même pas pris ma coke à Fichard. Je l’avais terminée la veille du jour où ma mère m’avait traînée dans la prison pour fous... En me disant que c’était juste une école pour jeunes en difficulté et que j’y avais ma place. Je rangeai le livre dans mon sac, puis sortis mon paquet de clopes et le tandis à la fille en tenue de jogging.

Je hausssai un sourcil. Un seul. Oui, je pouvais faire ça. Alors, cette fille allait surement à Fichard. Sinon, elle avait quoi, 16 ans, qu'est-ce qu'elle faisait à fumer? Pour ma part, les cigarettes me répugnaient quelque peu. C'était tellement différent... Mais bon, j'avais bien besoin d'un peu du réconfort que je trouvais habituellement dans la drogue. Certains disaient que la cigarette était aussi addictive que le pot. Je ne croyais pas... Pourquoi, sinon, est-ce que les gens arrivaient à arrêter de fumer? Sur ces réflexions, je pris une des cigarettes qu'elle me tendais et l'allumai avec mon briquet 'Souvenir de Las Vegas'. Las Vegas avait été mon seul voyage, la seule fois que j'étais sortie de ma chère Caroline du nord, mis à part ma fuite forcée. Il y avait des dés dans le briquet, et parfois, je les secouais pour voir sur quel chiffre ils tomberaient. Mais ça, c'était toujours quand j'étais passablement gelée. Je tirai sur la cigarette et la fumée me fit un drôle d'effet dans ma cage thoracique, comme si c'était la première fois. Je toussotai. Mais qu'est-ce qui me prenais aujourd'hui? Je me repris immédiatement. Pour passer l'attention de mon interlocutrice ailleurs, je lui parlai.
- Alors, tu vas à Fichard? C'est toute qu' une prison, une chance qu'on peux sécher!
J'avais compris qu'elle y allait, elle avait compris que j'y allais, on pouvait se parler franc-jeu. Je savais qu'elle savais parce que sinon, pourquoi m'aurait-elle offert ces cigarettes, sachant que je les refuserais si je n'avais pas été à Fichard. Ma bouteille d'eau finie, je l'envoyai valser parmis les fleurs. Tant pis pour la terre, je n'étais pas écolo...
- Ben... En tout cas, moi, c'est ce que je fais!
Je m'esclaffai, ce qui me fit un mal chien aux côtes. Sérieusement, je devais apprendre à mieux courrir. Parce que, sinon, j'allais devenir une patate, ou, du moins, comme la grosse Betty qui était plus ou moins mon amie en Caroline. Je me tenais plutôt avec elle parce que c'était la petite copine de mon meilleur ami, mais ça, c'est une autre histoire...

Elle avait prit une cigarette et l’avait allumée avec un briquet contenant des dés. Il venait sûrement de Las Vegas, un endroit que j’avais toujours eu envie de visiter. J’étais fort attirée par les grande villes, telles que Manhattan, ma ville natale. Elle tira sur la cigarette et elle se mit à tousser. Je réprimais un rire. J’allais sortir une réplique sarcastique, mais elle détourna mon attention à temps en me parlant de notre prison qui nous servait d’école, comme si elle avait capté ce que je m’apprêtais à dire. Et elle avait aussi comprit que j’étais élève à Fichard. Elle jeta sa bouteille d’eau et enchaîna :

- Ben... En tout cas, moi, c'est ce que je fais!
- C’est juste que j’ai pas envie de gâcher ma vie à rester assise sur une chaise à écouter des choses complètement inutiles, répondis-je. On a qu’une vie, il faut en profiter.

Car c’est vrai, à quoi sert de connaître la racine carrée d’un nombre ? La vie est déjà assez compliquée comme ça, à quoi sert-il de l’entourer de nombres, de choses qui nous embrouillent le cerveau ? En fait, c’est juste pour semer le brouillard dans notre tête, de nous empêcher d’y voir clair. Et de nous faire perdre du temps pour rien. Nous ne sommes pas des futurs mathématiciens ni des futurs scientifiques, à Fichard. Cette école a normalement pour seul but de nous sauver de notre propre vie, pas de nous bourrer le crâne de choses complètement inutiles. J’essaie déjà de me comprendre moi-même, le monde et les autres, pourquoi devrais-je comprendre de l’algèbre, de la géométrie ou encore de la science ? Mes problèmes ne se résoudront certainement pas par une formule mathématique, ce serait bien trop simple. Après mes quelques secondes de réflexion, je repris.

- Qu’as-tu fait pour te retrouver ici ?

Je jetai ma cigarette à peine commencée et l’écrasai sous ma semelle. Je n’aimais pas vraiment ça, mais j’aurais essayé. Ça me paraissait vraiment trop différent, et je ne ressentais pas ce qui pouvait nous procurer un bonheur quelconque. Et le goût n’était pas terrible. C’était comme si on avait emmené un amateur de restaurants quatre étoiles dans un fast-food. Même pire.

Bon. Encore une histoire longue comme ma vie, pour la bonne raison que c'est ma vie... Bon. Tant pis, je me lance. Cette fille me paraissait sympathique, après tout...
- Bon. Ma mère est morte à ma naissance, mon père est un salaud qui s'est en allé longtemps avant. J'étais-je suis-une orpheline. J'ai eut plusieurs familles d'accueil, toute aussi horrible les une que les autres. C'était insupportable. La plupart me battaient. J'ai commencé la drogue vers l'âge de dix ans. Ça me permettait d'oublier, je sais que tu comprend... De ne plus avoir mal, c'était fabuleux! Mais c'est pas trop pertinent. en tout cas, finalement, j'ai un peu... Comment expliquer? On a fait une séparation à l'amiable. Je ne suis pas vraiment rentrée chez nous... Un jour, j'ai vu des pancartes me recherchant dans toute la ville-j'habitais en Caroline du Nord-alors, j'ai du fuir. Évidemment, puisque je suis ici, ils m'ont rattrappée... Mais bon. Et toi? Comment t'es arrivée ici?
comme la tension semblait s'être tassée, je m'assit sur le banc. Enfin, un vrai siège... Mes cuisses me faisaient toujours souffrir, mais c'était mieux. Ça promettait d'être raquée, demain matin!

Son histoire avait l’air plutôt dramatique, bien qu’elle ne m’ait pas expliqué tout en détail. Dix ans, pour commencer à se droguer, c’était tôt, encore plus jeune que moi. Elle avait vécu seule, elle aussi… Enfin, elle avait eu plusieurs familles, mais qui n’en étaient pas vraiment. Et je n’avais jamais vraiment considéré la mienne comme telle. Je souris en la regardant s’asseoir sur le banc que je lui avais interdit quelques secondes plus tôt. Je me lançai alors dans le récit de mon histoire :

- Je suis née à Manhattan. J’étais heureuse avec mon père et ma mère jusqu’à ce que mon frère Christopher naisse. J’avais cinq ans. Ma mère m’a complètement oubliée. Je suis devenue difficile et désagréable. Seul mon père restait encore un peu là pour moi, mais ça ne me suffisait pas. Dès ses premiers jours à l’école, Christopher est devenu un élève model. En plus de ça, il était gentil et généreux. Mon inverse… J’étais jalouse de lui à en mourir, et il est devenu mon souffre-douleur. Lui, il ne disait rien… Il avait toujours voulu avoir une grande sœur qui l’aime et qui se conduise normalement avec lui. Mais il avait déjà tout, je ne pouvais pas le lui accorder. Ma mère me le reprochait… Elle me critiquait tout le temps. À ses yeux, je n’étais rien. Même moins que rien. Mon père s’est tué dans un accident de voiture quand j’avais douze ans. J’ai pensé à me tuer aussi, mais c’était trop facile… Ma fierté dont je me servais pour me cacher et enfuir ma souffrance, ma haine et ma jalousie m’en empêchaient. Je ne voulais pas me faire passer pour la petite enfant martyre que j’étais. Mais ça, personne ne le savait. Mon oncle est venu vivre chez nous, mais je ne l’aimais pas plus que ça. J’ai touché à la drogue lors d’une soirée avec un ami. Et puis, tu sais… La sensation d’extase, les délires qui nous font paraître le monde beaucoup plus beau qu’il ne l’est… J’avais trouvé mon « remède », et j’ai voulu recommencer. J’ai augmenté de cette façon jusqu’à maintenant. Ma mère me critiquait de plus en plus, et je devenais insolente, hautaine et impulsive. C’était horrible… C’est pour ça que je suis chiante avec les gens que je rencontre. Je le fais pour mettre une barrière entre eux et moi. J’ai sûrement peur qu’ils me connaissent. Je ne veux pas que l’on éprouve de la pitié pour moi, et je n’ai pas envie d’être la même petite fille apeurée qu’avant. Enfin, un jour, ma mère m’a surprise avec la poudre blanche et c’est pour ça que je suis ici.

J’avais parlé sans exprimer aucune émotion dans ma voix, mais je venais de déballer toute ma vie et toutes mes pensées à une fille que je venais tout juste de rencontrer. Je m’étais laissé emporter par le flot de mes idées. Ç’avait été comme si je parlais à une psy. Sauf que je n’aime pas les psys et que je ne leur dis rien. Et que je ne dis jamais rien à personne, tout simplement.

C'était assez triste, comme histoire. Mais bon, tout le monde qui étudiait dans cette fichue prison devaient avoir une histoire à peu près semblable, pleine de drame, de pleurs et de haine. Mais c'est que je la comprenais. J'aurais voulu pouvoir lui dire à qul point je la comprenais, comment je savais que tout semblais se libérer. Mais aussi à quel point ce n'étais que temporaire. Artifice doré miroitant devant nos yeux, promesses de libération. Mais ce n'était pas des choses qu'on disait à voix haute. C'était bien là, les mots étaient dans mon esprit, mais je ne pouvais imaginer comment les dires. Alors, je me tus. Le silence est d'or. Mon esprit dériva vers d'autres lieux, d'autres temps. Les fois où je m'étais sentie en sécurité. Elles étaient rares, ces occasions, mais il y en avait bien quelques unes. La maison abandonnée rue Anderson où je me réfugiais quand la vie devenais trop dure. Le Wal-Mart où je trainais souvent. Le parc avec ses balançoires secrètes. Tous ces endroits que j'avais dû quitter. et maintenant, je ne me sentais plus en sécurité à nulle part. Le silence commençait à être gênant.
- Comme ça, tu viens de New York? J'ai toujours rêvé d'aller là-bas.
J'avais aussi toujours rêvé d'avoir un petit frère, mais je ne le dis pas, de peur de la froisser. C'était comme de dire qu'elle n'aurais pas assez profité de la «chance» d'avoir un frère. Ce qui serait vraiment déplacé étant donné son histoire... Qui ne me donnait plus vraiment envie d'un frère.

- Oui, New York. C’est une ville géniale, mais seulement quand on a une vie qui y ressemble.

C’est carrément une ville fantastique… Mais quand on n’a pas quelque chose qui semble vouloir sans arrêt nous rendre notre vie malheureuse. Parce que, sinon, l’intérêt pour la ville n’a plus lieu d’être. En fait, elle et moi nous ressemblions en beaucoup de points, maintenant que j’y réfléchissais mieux, que je venais de me remémorer toute mon histoire dans l’ordre. Car dans ma tête, je ne repensais qu’à certains passages, d’autres m’ayant plus marqué que d’autres. Des plus difficiles, des plus marquants… Nos passés se rejoignaient à certains épisodes, comme la prise de la drogue pour tout oublier, notre fuite par rapport à nos familles… Mais la mienne était juste mentale. Je ne leur parlais plus, les évitais. Je n’avais plus aucun contact, bien que je vivais dans le même lieu. Et puis, j’avais envie de partager plus que ça avec cette fille, mais ma façon d’être m’en empêchait. Enfin… Pourrais-je peut-être faire une petite entorse à mon propre règlement ? Je n’allais pas me punir pour ça, et puis cette fille me donnait envie d’être sympathique. Une première. Je lui souris.

- T’es ici depuis combien de temps ?

Bah, combien de temps, je n'en avais aucune idée! Ça semblait être des années, mais je savais que c'était à peine deux semaines... Toutes ces connaissances que j'avais faites en si peu de temps, c'était fou!
- Qu'est-ce que ça importe, depuis combien de temps je suis là. Mais je vais te dire au moin que je suis restée ici assez longtemps pour comprendre que... Ce n'est pas vraiment une école. C'est une prison! Pour peu, il y aurait des barreaux, des gardiens de sécurité et une muraille de protection. Et pourquoi pas, une île pour ne vraiment pas qu'on s'échappe! Oh, et puis en passant, tu pourrais me passer une autre cigarette? C'est pas ce que je prend d'habitude, mais ça me tient occuppée.
Je tendis une main avide vers elle. J'aurais tout donné pour ce que je prenais d'habitude, mais comme je le disais, ça faisait l'affaire. Ma gorge était en feu, alors que je venais de boire une bouteille d'eau.

Je lui tendis mon paquet.

- Tu peux les garder, si tu veux. C’est pas trop mon truc. Par contre, si Fichard était sur une île, je creuserais un trou pour noyer cette prison, et les profs avec.

C’est vrai que j’avais le brevet maximal de natation… Mais peut importe, on s’en fichait. Fichard était sur la terre ferme. J’avais dit « les profs »…. En fait, c’était plutôt les gardiens de notre prison. Mais la ressemblance est parfaite : ils sont comme les gros lourdauds assis paresseusement sur leur chaise en laissant les pénitenciers appâter le chien avec un os sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Sauf qu’ils étaient à la fois des gros lourdauds et des chiens vraiment stupides… S’ils faisaient correctement leur travail, je ne serais pas ici en train de me dorer au soleil sur un banc, et l’autre fille n’aurait pas fait son petit jogging dans le parc. Je me levai pour dégourdir mes jambes. Il faisait beau, le soleil brillait. Je refermai mon sac puis la regardai.

- C’est pas que je m’ennuie, mais j’ai envie de faire autre chose. Shopping, cinéma ou autre chose, ça te tente? Enfin, si tu veux rentrer à Fichard, tu peux, mais c’est pas trop pour moi, je crois que c’est le cours de Français, après.

Quand elle me tendit le paquet, j'en allumai une et la finit avant de considérer répondre à sa question. Quand, enfin, j'écrasai le bout fumant et incandescent contre le talon de ma chaussure (Environ deux minutes pus tard, j'en avait gaspillé la moitié), je la regardai et pensai un long moment. Qu'est-ce que j'avais envie de faire? J'en savais fichtrement rien.
- Hum... Ça te dirais d'aller chez Starbucks? Après, on pourrais peut-être aller faire un peu de shopping...
J'avais à peine une dizaine de dollars. L'argent pour m'acheter un dark cherry moka, plus un petit muffin. Je commençais sérieusement à avoir faim! Je songeai aux sortes de muffins chez Starbucks. Citron et canneberge, Citron, Caramel, Cinq fruits, Framboise... Ou peut-être craquerais-je pour un beigne, bien que je doive surveiller ma ligne. Je ne voulais pas devenir grosse comme la grosse Betty! Je repensai à mon portefeuille vide. Finalement, j'avais vingts dollars, j'avais glissé un second dix pour je ne sais quoi ce matin.
- Tout compte fait, le cinéma est une très bonne idée...
Ça me faisait trop mal de voir toutes ces fringues que je ne pourrais pas m'acheter. Je me pouvais pas aller faire du lèche-vitrine sans emprunter de l'argent. Et je n'avais pas de quoi rembourser alors...

Je lui souris. Et on était partie pour un peu de shopping! Et pour un truc à manger. Je pouvais vraiment me le permettre, étant donné que je pouvais manger tout ce que je voulais, je ne grossissais pas beaucoup. Je savais que j'avais de la chance, et je ne la gâchais pas. Puis, finalement la fille me dit qu'elle préférait aller au cinéma. J'eus un sentiment de déception. J'avais vraiment envie de shopping, maintenant que j'y pensais.

- Quel est le problème avec le shopping? Sans être indiscrète, bien sur...

Maintenant que je voulais faire du shopping, regarder les vitrines et essayer divers tenues dans les cabines d'essayage, j'allais m'accrocher à mon idée. Et je n'en avais pas fait récemment... Deux, trois mois, peut-être. Le cinéma... Plutôt le soir. Mais c'était toujours mieux que le cours de Français. Beaucoup mieux. Puis, elle devait surement avoir ses raisons. Je jetai un rapide coup d'œil à mes ongles vernis en noir, ce que je faisais souvent et qui énervait ma mère. Mais elle n'était pas là pour me pourrir la vie, et j'en étais très satisfaite... Bien que j'aurais préféré que ce soit dans un autre contexte, mais bon, j'aurais appelé ça le paradais, mais je n'étais pas morte et ma vie était condamnée depuis et pour l'éternité en Enfer.

Soudain, j'étais gênée. Bien sur, comme elle le disait si bien, elle ne voulait pas être indiscrète. Qui veut dire que je ne suis pas obligée de répondre. Qui veut dire que la politesse m'obligeait à répondre. Quelle merde, la politesse!
- Eh bien... C'est que... Je n'ai pas d'argent. Mais si tu veux, on peut y aller et essayer plein de tenues ridicules... Mais ça me fait mal, parce que le linge m'appelle quand je n'ai pas d'argent...
Je me sentais totalement ridicule. Le linge m'appelle? C'est vrai, mais ça a l'air tellement idiot! Bon, si c'était ce qu'elle voulait faire... Je ne dirai rien. C'est amusant, d'aller chez American Apparel et de mettre des leggings de couleurs voyante, d'essayer les souliers les plus pointus et hauts, de faire n'importe quoi, puis aller s'assir sur un banc en sirotant une slush, hilares. J'avais souvent fait ça, en Caroline. Avec toutes ces filles qui m'avaient oubliées... Ça me rendit triste un moment, de penser à elles, parce qu'elles avaient représenté tout ce que je connaissait, avant. Mais c'était une époque de ma vie que je ne reverrai jamais. Je doutais même de revoir la Caroline un jour. Ça me rendait triste. Quand l'école serait finie, j'irais habiter à Las Vegas. Ou bien, j'aimerais voyager. Trouver mon père, même si c'est imposible. Il y avait, quoi, plus de 150 000 000 hommes aux États-Unis? Encore une fois, je m'égarais...

Tout d’un coup, je me sentis mal, et je regrettai de lui avoir demandé. Mal pour elle, car elle devait se sentir gênée. L’argent était un sujet tabou, comme la drogue et le sexe. Bien que parler de la came ne me dérangeait pas… J’essayai de rattraper mon erreur, de faire comme si nous n’avions rien dit. Je repris la conversation d’un air dégagé :

-Et si je t’avançais ? Enfin, tu n’es même pas obligée de me rembourser. Ma mère a presque tous les défauts du monde, mais elle n’est pas radine. Et puis, j’ai sur moi l’argent qui était censé payer ma dose. Une grosse dose que je n’ai pas eue le temps de m’acheter et que je n’achèterais pas. On peut aller essayer des fringues ridicules, ça pourrait être marrant, puis on s’en achèterait pour sortir en boîte de nuit, ce soir. Ça te tente ? Tu n’irais certainement pas là-bas en pantalon de sport et en espadrilles, j’y compte bien.

Je lui souris. Une sortie en boîte de nuit me tentait… Ça me manquait fort, tout comme le shopping. Quoique, mes sorties journalières en boîtes avaient été plus courantes que mes achats en vêtements. Et de plus, cette sortie serait accompagnée d’une toute nouvelle tenue, et d’une nouvelle amie. Le shopping comme la sortie seraient tout aussi plaisants l’un que l’autre, bien que très différents. Il ne restait plus que son accord, mais elle n’avait pas de raison pour refuser… À moins qu’elle ne préférait rentrer à Fichard et louper une occasion de s’amuser, ce qui aurait été assez bizarre. C’était pareil que dire à un prisonnier « Vas-y, pars, fais ce qu’il te plait » et qu’il ne veille pas. Sauf que ça n’arrivait jamais.

Je ne voulais pas de sa charité. Pas de la charité de personne. Mais la partie tenue pour la sortie était extrèmement tentante. Je ne serais jamais contre le fait d'épater des gens dans une tenue flambant neuve le soir tombé, dans un bar à l'angle de deux rues peu sûres. Mais d'un autre côté, je donnerais tout ce que je peux pour la rembourser, bien sur. J'honorais toujours mes dettes. Je me dis à ce moment que je devrais peut-être me trouver un petit job, pour pouvoir me payer mes folies dépensières.
- D'accord. Merci beaucoup. Mais je te jure que je vais te rembourser. Et c'est d'accord aussi pour la boîte. J'ai une fausse carte, je peux rentrer.
Puis, je me demandai sérieusement: Quel emploi ne demanderais pas trop d'efforts et acceptais des délinquants, c'est à dire qui ne nécéssite pas de gérer l'argent. À cause des vols, vous savez... Ça ne courrait pas les rues, des jobs comme ça.
- Et... En passant, tu ne connaitrait pas une boutique et ou restaurant qui accepterais de prendre quelqu'un comme moi? Une délinquante, hein?
Je souris, mais le coeur n'y était pas. J'avais vraiment besoin d'un travail. Je secouai la tête. J'en trouverai un, un travail. Facilement. J'étais honnête... Ne croyez jamais les rumeurs!

Je lui souris. La soirée promettait d’être… Bien. Très bien, même. Une sortie, comme avant. Ça me paraissait lointain, comme si ç’avait été dans une autre vie, un autre monde. Par contre, si elle voulait absolument se trouver un job pour me rembourser, il y avait deux options. Soit il fallait soit que les employeurs soient sympas, ouverts, empathiques et qu’ils aient vraiment besoin d’employés, ce qui était peu probable. La deuxième solution convenait mieux : il fallait qu’ils ne soient pas au courant qu’elle possédait un casier judiciaire, qu’ils ignorent de ses antécédents.

-Ok pour le remboursement. Je compte des intérêts ?

Je rigolai.

-Par contre, pour te trouver un job, ça ne va pas être facile. Mais tu peux toujours leur cacher pour l’histoire de la drogue… Ça pourrait fonctionner. Bon, on va les voir, ces vitrines ?

Je savais où était le contre, c’était plutôt proche. Il fallait quitter le parc, parcourir quelques avenues et les plus grands magasins de vêtements étaient là. Je n’aimais pas m’habiller avec n’importe quoi, je refusais que mes tenues ressemblent à des sacs-poubelles sous prétexte que le reste était trop coûteux. On a le style ou l’on ne l’a pas. Je me dirigeai vers la sortie et je lui fis signe de me suivre.

[HJ: Désolé, j'ai pas écrit beaucoup, manque d'inspiration =$]

Je me levai, suivant sans aucune réticence cette fille que je connaissait à peine qui allait me passer de l'argent. Je bénis Dieu-qui, soit dit en passant, est une invention d'une personne schyzophrène en manque d'affection-de l'avoir trouvée sur mon chemin. Des amies-car oui, c'était mon amie-comme elle, on en trouvait pas tout le temps dans les rues. Parfois sur des bancs de parc, pas souvent. Je me décidai de ne pas prendre de Starbucks. Je devais en fin de compte perdre du poids. Je me promis de faire un jogging chaque jour, à partir de tout d'aujourd'hui. Quand nous fûmes enfin sorties du parc, l'odeur étouffante des fleurs me quitta enfin. Je ne m'étais pas rendue compte que ce parfum était simplement... Étouffant, je l'ai déjà dit. Je déteste les fleurs, papillons et abeilles, tout le tralala. Et puis quoi, encore? Sans m'en rendre compte, je m'étais accrochée le pied contre la bordure du trottoir. Une énorme éraflure striait ma paire. Bon, j'avais d'autres espadrilles... Même si celle-là était ma préférée. Le trajet jusqu'au mail se passa en silence. Ce n'était pas aussi loin que je ne l'aurais cru. Quelques coins de rues à peine... Le centre d'achat me fit sentir en sécurité. Je ne sais pas pourquoi. C'était là où je devais être. Je considérai me prendre un job là. Et puis... J'étais assez bonne menteuse, il suffisait de voir mes notes en art dramatique pour le deviner!
[HJ: suite dans le centre commercial]