La plage… Un endroit où pas mal d’étudiants venaient passer leur temps en été. C’est pourquoi j’avais choisi une journée moins ensoleillée que les autres pour m’y rendre. Un moment où j’avais plus de chance de me retrouver seule. Et j’avais eu raison. J’apercevais quelques jeunes qui jouaient avec une balle, un petit groupe d’adolescentes qui essayaient d’améliorer leur bronzage –mais selon moi, ça n’allait pas être très concluent, vu les nuages qui se trouvaient dans le ciel- et des parents aidant leurs enfants à construire un stupide château de sable. Ce qui, comparé à la vaste étendue de sable qui se propageait à perte de vue, se résumait à peu de monde.

Je me rendis compte que j’avais laissé toute pensée liée à mon frère de côté. Je me sentais presque paisible. Ce qui n’arrivait que très rarement, pour la simple raison que ma vie ne l’avait jamais été.

« And every time that you kiss me,
feels like I’m having a sweet dream
And i’mma never feel the way i do with anyone else »

Une douce mélodie se fit entendre. Je ne la connaissais pas, mais néanmoins, j’aimais bien. Elle était jouée par une guitare et les paroles étaient marmonnées par une voix grave, masculine. Je me tournai vers la provenance de la musique. Le garçon avait les yeux posés sur sa guitare, assis sur un rocher à quelques mètres de moi. Sa présence ne m’énerva pas vraiment, alors que toute autre aurait eu cet effet sur moi. Je me sentais légèrement frustrée de ne pas l’avoir vu avant. Je me contentai de le regarder gratter les cordes de sa guitare et former les accords harmonieux de la mélodie sans difficulté.

Je me laissai bercer par la mélodie, laissant mes pensées dériver au loin, le regard posé sur lui. Il me remarqua et m’adressa un sourire ravageur qui devait laisser la plupart des filles rêveuses et pleines de fantasmes. A quelques exceptions près… Et j’en faisais partie. En général, je trouvais chaque personne pitoyable, mais là, je n’éprouvais ni le besoin de partir ne le mépris habituel. Un vague intérêt, même.

La chanson touchait à sa fin. Je l’écoutai jusqu’au dernier accord. Je reçus alors un deuxième sourire, tous aussi beau que le premier. Sur ce, je me levai, franchis en plusieurs pas la distance qui nous séparait et me mis devant lui.

- Ne te fais pas trop d’idées. Je viens plus pour ta guitare que pour ton charmant sourire, lui adressai-je froidement.

J’avais fait un effort de sociabilité, mais être agréable relevait de l’impossible. Je le toisai d’un air impassible, attendant sa réaction.

Je le trouvais plutôt vantard, mais au moins, il possédait de la répartie. Je le regardai, amusée par sa réponse. Oui, c'était bien moi, Angie, un léger sourire aux lèvres, le regard moqueur et sans mépris. Une première, mais je n'en étais pas mécontente.

- Je te laisse une chanson pour trouver ce que tu veux que joue ensuite, me dit-il, tandis qu'il commençait à jouer.

Je reconnus aux premiers accords l'air de la chanson. Je ne l'adorais pas au point d'en devenir dingue, mais la chanson était agréable à écouter. Hey soul sister était un très bon choix de musique à refaire en version acoustique. En plus de son talent pour jouer, il chantait bien. Et ces pensées ne sortaient pas de la tête d’une simple amatrice. Je jouais du piano depuis plusieurs années, et j’avais travaillé le chant en même temps. Je soupirai, en pensant aux touches lisses et brillantes que mes doigts avaient si souvent parcourues. Peut-être y avait-il finalement une chose qui me manquait depuis que j’étais arrivée à Fichard, contrairement à ce que j’avais pu croire.

Hey soul sister, ain't that Mr. Mister on the radio, stereo, the way you move ain't fair, you know!
Hey soul sister, I don't want to miss a single thing you do...tonight
Hey, hey,hey

Il en était déjà au refrain. Je tapotai de mes doigts le rythme de la chanson sur ma cuisse, tout en le regardant jouer. Je n’avais pas longtemps réfléchit à la chanson que j’allais lui demander de jouer, car mon choix s’était fait presque automatiquement. Pendant quelques secondes, j’avais été tentée par l’idée de lui proposer quelque chose de vraiment peu connu, par pur envie de l’ennuyer, mais je n’avais pas trop envie de jouer à ce petit jeu. Et alors, j’avais su quelle chanson lui demander.

La chanson se termina. Je lui souris. Il n’allait rien devoir retoucher sur celle que j’allais lui demander, car la mélodie était jouée par une guitare acoustique. Mais cependant, faire mieux que le chanteur n’était pas quelque chose de facile. A lui de relever le défi, maintenant.

- Angie, des Rolling stones, lui annonçai-je simplement, avec un sourire en coin et un regard qui sous-entendait qu’il allait devoir me surprendre.

Cette chanson… Elle était fort différente de la première version. Sa voix était beaucoup plus agréable que celle du chanteur du groupe, ce qui rendait tout plus intense. Je préférais. Mais c’était une question de goût. Après tout, pourquoi comparer un groupe faisant partie de l’histoire de la musique à un garçon sur la plage ? Tout dépendait de ce qu’aimaient les gens.

Je fermai un instant les yeux pour me concentrer sur la mélodie. Je trouvais ça vraiment beau. En lui demandant de chanter « Angie », je n’avais pas pensé aux paroles. C’était seulement en les entendant que je m’étais souvenue. Mais après tout, ce n’était qu’une chanson…

Je le regardai jouer, assis sur son rocher, moi sur le sable. Maintenant que je lui prêtai attention, je le trouvais plutôt attirant. Disons qu’il possédait… Un certain charme. J’étais peut-être indifférente à beaucoup de chose, mais j’en restais tout de même une fille.

- With no loving in our souls and no money in our coats. You can't say we're satisfie, articulai-je silencieusement, en même temps que lui.

Lui… Je ne connaissais pas son prénom. Avait-il deviné le mien ? Des cons, il n’y avait pratiquement que ça… Mais n’avait-il pas l’air différent ? Du moins, plus je restais près de lui, plus mes pensées allaient dans ce sens.

- Oh, Angie, don't you weep, all your kisses still taste sweet. I hate that sadness in your eyes.

Ce regard… Transperçant. Je ne détournai pas la tête. Je n’en avais pas envie, et je ne voulais pas céder non plus. Qu’y voyait-il ? De la souffrance ? De la tristesse ? Je pensai à l’ironie de la chanson en souriant. Un sourire mélancolique, seulement. Je fus surprise de l’entendre murmurer les dernières paroles et de détourner le regard. Il avait presque l’air gêné, ce qui m’amusa.

- Tu t'appelles Angie, n'est-ce pas? me demanda-t-il.

- Et c’est ça qui te gêne ? dis-je en lui adressant un sourire légèrement moqueur

Je le fixais toujours, cherchant son regard.

Menteur... Je n'en crus pas un mot, mais je ne cherchai pas à le contredire. Pourquoi s'accrocher à des choses aussi peut importante? La vérité n'est que la conséquence de trop de mensonges. En attendant, j'avais quand même trouvé son regard. Mais pour que quelques secondes après il se remette à gratter les cordes et à fixer sa guitare. Ce qu'il jouait était de la pure improvisation, la mélodie était complètement aléatoire. Peut-être était-ce mieux ainsi...

Mais c'était avant qu'il ne me regarde et que l'improvisation se transforme en une chanson... Il me semblait qu'il s'agissait de Speechless, mais je n'en étais pas certaine. Ce type de chansons ne faisaient pas vraiment partie de mon registre. Je le vis rire. Il s'amusait peut-être des paroles... Ou de lui-même. Je l'observais toujours, occupé à chanter.

- You leave me breathless the way you look at me, dit-il en plongeant son regard dans le mien.

Je détournai le regard en même temps qu'il baissa la tête. Cette fois-ci, j'avais cédé. Je n'étais pas vraiment gênée, juste un peu tendue depuis la dernière fois. Heureusement, il me posa une question, ce qui chassa mon embarras.

- Angie... je n'ai jamais entendu à Fichard... C'est bon signe?

Je répondis à son sourire en lui en faisant de même.

- Peut-être parce que je n'y suis que depuis quelques jours, répondis-je.

Je ne savais plus depuis combien de temps exactement. Les jours étaient les mêmes depuis que j'étais ici. Enfin presque... C'était correct seulement si je ne classais pas aujourd'hui avec le reste.

Dieu ne m'avais jamais écoutée, pourquoi le ferait-il maintenant? J'avais été torturée pendant les 17 premières années de ma vie et rien ne pourrait jamais me faire oublier ça. Pour moi, l'enfer était une chose bien plus existentielle que le paradis. D'ailleurs, je n'avais plus mis les pieds dans une église depuis bien longtemps. Mes parents m'y avaient obligés, étant enfant. Mais après coup, j'avais compris que ça n'avait jamais rien changé dans ma vie.

- Moi ça fait trois que je piaule là-bas... Je peux te dire que je m'ennuie du Canada... dit-il.

Donc, il venait du Canada. Pour ma part, c'était New York. Mais il y a une chose qu'il ne pouvait pas comprendre... Mon placement à Fichard n'était pas la plus mauvaise chose qu'il me soit arrivée. En fait, ma vie n'ayant été qu'un mélange de mauvaises choses, cette école comptait peut-être parmi les meilleurs changements. Les meilleurs et à la fois pas très bon... Une preuve qu'il ne m'était jamais arrivé quelque chose de très heureux.

Je laissai planer un long silence, perdue dans mes pensées, écoutant la mélodie qu'il jouait à la guitare. Il ne m'avait toujours pas dit son nom, mais ce n'était pas vraiment ma question du moment. Finalement, en quoi un prénom était important? Pour moi, la plupart des gens étaient pareils... "Lui" et "Elle" me suffisaient pour définir ceux qui m'entouraient.

Je levai les yeux vers lui.

- Je crois que je peux comprendre...

Je soupirai, laissant s'installer encore un silence. Je pensais à sa phrase d'avant. "Amen". "God bless you". Et je ne pus m'empêcher d'apporter une petite nuance personnelle.

- N'as-tu pas pensé que Fichard n'étais pas ma prison mais ce qui m'en délivrait?

Je vis son air surpris. Il y avait de quoi… Et je reconnaissais totalement que j’étais une des seules à penser ça. Je hochai la tête. Je le savais, que j’étais quelqu’un de peu courant. Mais on ne pouvait pas me comprendre, puisque je n’avais jamais expliqué mon histoire à personne. C’était d’ailleurs mon silence qui m’avait traînée jusqu’ici. Pour avoir essayé de fracasser le crâne de mon jumeau. Alexis… Je n’avais simplement pas pu expliquer pourquoi. Je ne voulais pas le trahir, bien qu’il ait fait pire. J’aurais tout dit, je n’aurais pas été à Fichard. Mais maintenant que j’étais dans cette « école », il n’était plus là. Maintenant, il ne pouvait plus que hanter mes rêves.

- Pour moi, avant, ce n'étais pas une prison non-plus. Je ne considérais même pas ça comme une école, puisque je n'allais jamais en cours... Mais cet été, certaines choses ont... changées. Alors j'ai changé et maintenant je n'aspire plus qu'à retourner là-bas et vivre "normalement". Tu sais, une histoire normale, une fille normale, un boulot normal, une vie normale, peut-être aussi. Mais dis-moi... Qu'est-ce que ta vie pouvait bien être pour... Je veux dire... Tu...

Je ne m’offusquai pas qu’il essaie de savoir, car je comprenais que ça pouvait être intrigant. Mais je n’allais pas donner une réponse complète non plus. Personne n’avait jamais rien su, pourquoi lui ?

- Il me semble que tu rêves beaucoup à la normalité… C’est fort monotone.

Moi qui n’avais jamais rêvé à un potentiel futur, je me permettais de commenter le sien.

- Et pour ta question… Et bien… Mon père est entouré de maîtresses blondes aux énormes poitrines. Tu vois le genre… Ma mère est en dépression et se drogue. Mon jumeau…

Je m’arrêtai de parler, serrai les dents, les sourcils froncés. C’était sorti sans que je le veuille. Il était trop tard pour oublier. Je fermai les yeux, me concentrant pour refouler tous mes souvenirs malsains, douloureux. J’ouvris les paupières, fixant la plage devant moi sans vraiment la voir. C’est sûr, maintenant il avait compris ma souffrance. Il l'avait vue. Quelle imbécile…

Ce qu'il me disait était plus facile à dire qu'à faire. C'était le genre de conseils que les gens apportaient sans même avoir la moindre idée de ce qu'ils racontaient. Sauf que là, il paraissait vraiment sincère. S'il avait seulement la moindre idée de ce qui me faisait réellement souffrir... Je n'étais pas la seule fille au monde à être victime de ça... Mais c'était encore si récent... Et ça avait duré tellement longtemps que ça s'était répandu en moi comme un poison. Lentement, mais chaque jour un peu plus.

Je l'écoutai me raconter son histoire. J'aurais donné beaucoup pour pouvoir lui parler comme il le faisait. Ce n'était même pas le fait que je ne le connaisse pas depuis longtemps... C'était simplement impossible que je lui raconte. Je n'essayais même pas d'envisager l'option. Et ça avait commencé à mes douze ans... Je secouai la tête pour ne pas me remémorer ce moment qui avait changé beaucoup de choses chez moi. Je ne voulais pas revoir ces images qui restaient gravées dans ma mémoire... Le fait d'avoir mentionné mon frère à voix haute n'avait eu pour effet que ressasser des souvenirs douloureux. Souvenirs... Maintenant, ça n'était plus que ça. Et pourtant, c'était encore trop pour moi.

J'essayais de compatir avec lui, mais c'était difficile de l'admettre. Je n'avais jamais été touchée par les problèmes de quelqu'un d'autre. Toute mon adolescence n'avait été que mépris, solitude et silence. Mon regard était posé sur la guitare. Je me demandais s'il fallait absolument avoir un choc pour prendre conscience de quelque chose. Pour lui, ça s'était passé comme ça. Et moi... Moi, je n'étais pas encore arrivée à rien surmonter. Tout ce que j'avais réussi à faire, c'était m'isoler. Souffrir en silence. Et surtout, ne rien dévoiler. Avais-je cru que l'on pouvait se cacher éternellement?

Je levai enfin les yeux vers lui. Mon regard était redevenu le même. Froid, impassible. A moins qu'un reste de souffrance y soit encore lisible...

- C'est triste que ça ce soit passé de cette façon, dis-je.

Il devait avoir l'impression que je n'en avais rien à faire... Mais si c'était moi qui le disait, ça venait vraiment du coeur. Car jamais des mots tels que ceux que je venais de dire n'étaient jamais sortis de ma bouche. Je ne les avais même jamais pensés pour personne. Hormis lui.

- Tu sais... dis-je murmurant. Ce que je t'ai raconté tout à l'heure, c'était rien.

Il m'avait fallu tout la peine du monde pour réussir à finir ma phrase. Pendant un moment, je regrettai de ne pas en être restée là avec lui. Mais finalement, peut-être n'était-ce pas plus mal.

Je ne voulais pas qu’il parte… C’était une chose dont j’étais certaine. J’étais plutôt rassurée qu’il se soit réinstallé près de moi. J’avais envie de lui expliquer que je n’avais jamais fait preuve d’empathie envers quelqu’un, que c’était difficile pour moi d’être quelqu’un de plus ou moins agréable. Parce que je ne l’avais presque jamais été.

Son regard disait tant de choses à la fois… Mais je ne pouvais pas lui parler de ça. Ce n’était pas vraiment une question de confiance. Seulement, je n’avais jamais compté sur les autres. Et je ne pouvais pas raconter une chose aussi malsaine et douloureuse. Finalement, je me rendis compte que ça m’avait vraiment terrorisée. J’en voulais énormément à mon frère, maintenant. J’aurais dû lui mettre une batte de baseball en pleine figure et pas une petite lampe de chevet.

- Désolé, je ne peux pas. Personne n’est au courant, pas même ceux qui m’ont envoyé à Fichard. Sinon, je n’y aurais pas été… murmurrai-je.

J’avais envie de lui dire tant de chose, et pourtant, j’en disais si peu.

- Je suis désolée pour ce que j’ai dit tout à l’heure… J’ai pas envie que tu te sente vexé, lui dis-je doucement, en soutenant son regard.

Je soupirai. Me mordillai la lèvre. Avouons-le, j’étais un peu nerveuse. Pour quelles raisons ? Un, mon histoire. Deux, pour les conséquences de mon attitude désagréable. Trois… Je ne savais pas.

[H.J.: Youhouuu! On est maintenant officiellement éligible au défi! =D]

Je n’avais aucune idée de ce qui lui arrivait et c’était ça qui m’inquiétait le plus. Je ne pouvais rien faire pour le moment, tant qu’il ne me parlait pas. Je m’interdis de paniquer. Dans la plupart des cas, ça ne servait à rien du tout. Je me rapprochai de lui. Il était appuyé sur le rocher. Je me demandais ce qu’il y avait pour qu’il ne puisse même plus tenir debout.

Je posai une main sur la sienne, ne me souciant pas de ce que pouvait représenter ce contact. J’avais d’autres choses dont me soucier. Je ne lui demandai pas si ça allait. Ça aurait été une réaction complètement stupide étant donné qu’il n’allait pas bien du tout. Et pourtant, c’était la première chose que demandaient la quasi-totalité des gens.

- Tu peux me dire ce qu’il t’arrive ? demandai-je calmement, tâchant de me contrôler.

Peut m’importait de paraître complètement antipathique en ne laissant aucune émotion m’emporter. Je savais que c’était nécessaire si je ne voulais pas faire de bêtises. Je ne savais même pas encore son prénom, alors qu’il m’avait raconté toute son histoire. Mais pour le moment, ça allait rester « Tu ». Je n’allais pas l’embêter avec un détail aussi futile alors qu’il avait l’air vraiment mal.


[HJ: Yeaah!]

Je ne me sentis pas vraiment contrariée en le voyant retirer directement sa main. Enfin si, un peu. Allez, avoue-le, Angie ! T’es carrément vexée ! Mais après tout, il avait l’air d’avoir vraiment mal. Et avec un peu de chance, ce n’était pas à cause de moi qu’il avait retiré sa main si vivement, mais à cause du fait qu’il ne se contrôlait pas.

Les questions que je me posais étaient « comment avait-il pu se faire tout ça ? » et « pourquoi ça revenait maintenant ? ». Évidemment, il y en avait d’autres, mais je les ignorai en le voyant hurler. Je fus un peu surprise, mais je ne sursautai pas. Il fallait que je reste calme et attendre que ça passe. J’avais presque mal pour lui… Je ne réagis pas, me disant que de toute façon, je ne servais à rien et qu’il n’en avait rien à faire que je sois là.

Ça avait l’air de passer un peu. Je fus soulagée en le voyant marcher péniblement. Je nous imaginais déjà dans un hôpital. Je détestais les hôpitaux. C’était là qu’on emmenait ma mère quand elle était en overdose. Ensuite, mon père payait une grosse somme pour que les gens croient qu’elle avait fait un malaise. De l’argent pour ne pas salir la réputation des Smith aux yeux de… De qui, d’ailleurs ? D’inconnus. Je me demandais combien il avait dû payer et inventer pour masquer mon placement à Fichard.

Je m’assis sur le rocher en croisant les bras. Le sable était moins dur, mais c’était mieux que d’être assis par terre. Je le regardais toujours, bras croisés, visage impassible. J’attendais qu’il me parle. Ce n’étais pas à moi de savoir s’il avait toujours mal ou non et s’il avait terminé de m’ignorer. J’attendis calmement, mon regard froid toujours posé sur lui.

Il avait l’air de râler. Génial. Bien sûr, c’était ironique. J’avais dû le blesser. En d’autres circonstances, je n’en aurais eu rien à faire. Mais là, il n’avait pas l’air de bien comprendre que si je n’étais venue que pour sa musique –même si à la base c’était le cas-, je serais repartie bien plus tôt. Et que je ne lui aurais rien raconté de moi, bien que ce que je lui ai dit ne soit pas si important à mes yeux. Je ne lui aurais même pas parlé.

Je le vis s’arrêter au bord de la mer. J’avais deux solutions : la première était de repartir. La deuxième de rester et de lui faire comprendre ce que je pensais. En même temps, je n’avais pas envie de le laisser… Pas dans cet état. Et puis… Depuis quand n’avais-je plus eu une conversation avec quelqu’un ? Longtemps. Je n’étais vraiment pas décidée à oublier ça, comme si ça n’avait été qu’une rencontre tout à fait banale. Peut-être l’était-elle pour quelqu’un d’autre. Mais pour moi qui n’avais plus adressé deux phrases complètes à quelqu’un depuis des années, moi qui n’avais plus eu un comportement un peu plus social, ou encore simplement moi, Angie Smith, ça ne l’était pas.

Donc, j’optai pour la deuxième option. Je marchais dans sa direction, silencieusement. Je portais mes talons à la main ; dans le sable, c’était carrément impossible d’aligner deux pas correctement. Je l’entendis marmonner une phrase, mais je ne fis pas attention. Il était question d’un docteur, mais le reste, je n’avais pas entendu.

Je me tenais près de lui. Je pensai un moment lui faire « Bouh » pour qu’il sursaute et le torturer un peu, mais c’était vraiment cruel. Je me forçai d’oublier mes idées tyranniques. Ce n’était pas vraiment le moment. Je me couchai près de lui, sur le coté pour le regarder.

- Si j’avais voulu te laisser, je ne serais plus là, dis-je doucement.

Je souris en entendant sa remarque. Personne ne m'avait jamais dit que j'étais quelqu'un de "déroutant". Parce que je ne l'avais jamais été avant aujourd'hui. J'étais plutôt soulagée qu'il ne veuille pas que je parte. Dans le fond, c'était ce que j'avais espéré. Mais je n'avais pas pensé que ça se produirait. Je soutins son regard aussi longtemps que je le pus. J'avais envie de lui répondre, mais je le vis se redresser avec un air douloureux sur le visage. Je me mordis la lèvre inférieure, me demandant pourquoi il avait si mal. Même des blessures comme il en avait eu ne devaient pas faire aussi mal par après. Et je savais qu'il n'exagérait rien.

Je le regardai enlever son haut. Je fus d'abord surprise. Il avait quelques cicatrices visibles, mais j'étais presque certaine qu'il y avait bien pire, et que c'était caché sous le truc en plastique. Comment s'était-il fait ça? Il s'excusa de devoir faire ça. Il avait mal et il s'excusait de devoir vérifier ce que c'était... N'importe quoi. Comme si j'allais partir pour ça. J'avais déjà vu pire dans ma vie que quelques cicatrices. Je le vis regarder les deux bandes velcros restantes avec désespoir.

- Laisse moi faire, dis-je doucement.

J’en détachai un délicatement, essayant de ne pas lui faire mal, de ne pas le toucher. Je me sentais mal à l'aise d'être si proche de quelqu'un. Ce n'était plus arrivé depuis longtemps... Enfin, si on excluait mon frère. Je plantai mon regard dans le sien.

- On ne m’avait jamais dit que j’étais déroutante. Parce que d’habitude, je ne parle à personne. Et pour info, je n'ai pas l'intention de partir.

Je défis la deuxième, en le regardant toujours. Puis, je lui souris.

- Comment t’appelles-tu ?